Histoire de l'asséchement

Historiquement, les premiers textes spécifiques aux zones humides étaient ceux qui concernaient leur assèchement à des fins agricoles ou de salubrité publique. Ainsi, du début du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle se sont succédé des législations favorisant la disparition de ces espaces, soit directement, soit indirectement (aides financières, exonérations fiscales). Ces dispositions ne seront que peu retouchées au fil des années. Les derniers textes en faveur des assèchements seront pris dans les années 1960 à 1970.

Il existe dans notre conception occidentale, une peur très ancienne de ce que l’on appelle aujourd’hui les zones humides. Dès l’Antiquité, les Grecs perçoivent les marais comme des lieux de sinistre réputation (mythes du marais de l’Achéron), peuplés d’êtres fantastiques (l’hydre des marais de l’Herne).

De l'Antiquité au XIIIè siècle : terres des marginaux et des hors-la-loi hostiles à l’ordre.

Les Romains quelques siècles plus tard mèneront une politique importante d’assèchement des marais de fonds de vallée (marais Pontins près de Rome) ou effectueront des travaux de poldérisation (Baie de l’Aiguillon notamment). La classification juridique des eaux, retenue par les Romains, qui est fondée sur la distinction eaux courantes/eaux stagnantes est encore celle que nous utilisons aujourd’hui.

Au Moyen-âge, les marais et les étendues d’eau stagnantes sont considérés comme des zones pathogènes. On considère alors que l’air putride et vicié provenant des marais est vecteur de maladies contagieuses (thèse reprise par bon nombre d’auteurs jusqu'à la fin du XIXe siècle).

Dès le XIIe-XIIIe siècle, des zones humides vont être asséchées (ex. : création de petits polders à Noirmoutier), mais ces travaux d’assèchement resteront de faibles ampleurs, sauf exception (création de canaux et poldérisation du golfe des Pictons). Le plus souvent, les zones de marais sont aménagées par les moines, fréquemment à des fins piscicoles (marais transformés en étangs en Dombes, en Sologne ou en Brenne...). Chaque étang est soumis à des droits spécifiques issus de coutumes anciennes (coutume d’Orléans : « il est loisible à chacun de faire en son héritage, étang »).

Du XVIIè au XIXè siècles : L'époque de la transformation des zones humides en marais

Toute la période allant du XVIIe au XIXe siècle est marquée par une peur des espaces humides, confinant quelquefois à la paranoïa. Ces espaces sont alors considérés comme impropres à la culture, exsudant des miasmes et des odeurs pestilentielles (brouillards) et vecteurs de fièvres (paludisme). Le texte le plus célèbre en la matière est peut-être le traité de Monfalcon de 1824, intitulé « Histoire des marais, et des maladies causées par les émanations des eaux stagnantes ».

A partir du XVIIe siècle, les rois mènent une politique ambitieuse d’assèchement des marais et vasières salés du littoral atlantique et de la Manche. Ainsi, Henri IV, par un édit royal de 1599 sur le dessèchement des marais, jouera-t-il un grand rôle dans la conquête des marais de l’Ouest, particulièrement dans l’ancien golfe des Pictons (marais Poitevin) et dans l’estuaire de la Seine (marais Vernier).

Les ordonnances d’Henri IV seront confirmées par Louis XIII en 1613, par Louis XIV en 1643 et Louis XV en 1764, ces textes fixant notamment les règles d’appropriation ou de concession des terres assainies. Les marais des Baux, situés à proximité d’Arles, feront l’objet d’une tentative d’assèchement qui ne sera toutefois menée à son terme que deux siècles plus tard.

Provinces Nombre d'arpens Nombre d'hectares
Poitou 118 400 40 256
Guyenne 24 000 8 160
Aunis 31 000 10 540
Languedoc 21 000 7 140
Provence 50 000 17 000
Normandie 60 000 20 400
Bretagne 40 000 13 600
Dauphiné 15 000 5 100
Picardie 8 000 2 720
Gâtinais 7 000 2 380
Berry 4 000 1 360
Auvergne 2 000 680
TOTAL 380 400 129 336

Superficie des marais convoités dans les années 1630. Source : BNF Ms. Fr. 17 342, f 396 : Pour le desseichement des marais en Poitou. 

Au XVIIIe siècle, l’assèchement et la mise en valeur des terres humides constituent l’un des objectifs des physiocrates (école de pensée économique et politique née en France vers 1750, qui a connu son apogée au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et qui est à l'origine de la conception moderne de l'économie). Sous la Révolution, l’assèchement est toujours considéré comme une œuvre de salubrité à entreprendre nécessairement (lois du 26 décembre 1790 et 5 janvier 1791, décret du 1er mai 1790).

Quant au décret supprimant les étangs prétendument insalubres (D. 11 sept. 1792), il ne sera abrogé que suite à l’opposition farouche des propriétaires et usagers (D. 4 déc. 1793, 9 févr. 1794 et 1 juill. 1795)

Tout le XIXe siècle est marqué par des textes ayant pour objet d’assécher ces espaces à des fins d’hygiène ou à des fins agricoles, le tout encouragé par de nombreuses aides. La plupart d’entre eux sont adoptés dans la seconde moitié de ce siècle :
— loi du 16-26 septembre 1807 sur le dessèchement des marais (et D. 26 mai et 28 sept. 1858) ;
— lois des 29 avril-1er mais 1845 sur les irrigations et du 10 juin 1854 sur le libre écoulement des eaux provenant du drainage (servitude d’écoulement des eaux et de drainage) ;
— loi du 17 juillet 1856 sur le drainage ;
— loi du 21 juillet 1856 sur le dessèchement des étangs de la Dombes (et D. 28 oct. 1857) ;
— loi du 28 juillet 1860 sur la mise en valeur des marais et des terres incultes appartenant aux communes (et D. 28 juill. 1860) ;
— loi du 21 juin 1865 sur les associations syndicales ;
— loi 25-26 nov. 1901 sur le dessèchement des étangs de la Dombes

Il faudra attendre d’une part, les travaux de Laveran en 1880 pour qu’on découvre que ce n’est pas l’air, ou le milieu qui transmet le paludisme et les fièvres, mais la piqûre des moustiques et d’autre part, la fin des années 1970 pour que les préjugés vis-à-vis de ces
milieux soient enfin abandonnés et laissent la place à une vision consistant à les protéger pour leur valeur biologique. Ce changement a été largement impulsé par les associations de protection de la nature.

Départements Nombre d'hectares
Ain 1 950,82
Aisne 13 563
Allier -
Alpes (B.) 6 565
Alpes (H.) 35
Ardèche -
Ardennes -
Arriège -
Aube 819
Aude 14 917
Aveyron
-
Bouche du Rhône
53 704
Calvados
3 240, 85
Cantal
80
Charente
1 071, 97
Charente inférieure 44 767, 24
Cher 13 725
Corrèze 20
Corse 12 594,46
Cote d'Or 1 720
Cote du Nord -
Creuse -
Dordogne 590
Doubs 700
Drome 600
Eure 2500
Eure et Loir 680,30
Finistère 2 622,70
Gard 18144
Garonne (Haute) -
Gers 1,15
Gironde 37 031
Hérault 6 592,32
Ile et Vilaine 1 639
Indre (24 à 28 km de prairies sur le long du Claise)
Indre et Loire 955,83
Isère 9 852,14
Jura 1 096,83
Landes 18 933
Loire inférieure 29 554,52
Loiret 3 500
Lot 32
Lot et Garonne 21,50
Lozère 480
Maine et Loire 5 167
Manche 12 884,58
Marne 5 632,6
Marne (H.) 35
Mayenne -
Meurthe 685
Meuse 20
Morbihan 2 679
Moselle 478,78
Nièvre 992
Nord 4 030
Oise 6 992
Orme 703
Pas de Calais 12 777,8
Puy de Dome -
Pyrénées (Basses) 83
Pyrénées (Hautes) Si asséchement de Gravière environ 1 200 hectares
Pyrénées (Orientales) 218
Rhin (Bas) 261
Rhin (Haut) Si asséchement d'étangs
Rhône -
Saone (H.) 4 894,49
Saone et Loire -
Sarthe -
Seine 85
Seine inférieure absence de remontée d'information mais surement des lais de mer et alluvions à endiguer
Seine et Marne 292
Seine et Oise 1 303,18
Sèvres (Deux) 7 041
Somme 8 281,61
Tarn -
Tarn et Garonne -
Var 708
Vancluse 41
Vendée 49 641
Vienne 1 860
Vienne (H.) -
Vosges -
Yonne -
TOTAL 432 085,67

Résumé du tableau général des marais à déssécher en France - Code des desséchemens ou recueil des règlemens rendus sur cette matière depuis le règne d’Henri IV jusqu’à nos jours - Poterlet jeune - Paris - 1817

Au XXe siècle : Une volonté de faire disparaitre les zones humides et les marais

Malgré tout, la fin du XIXe siècle et le début du XXe sont encore marqués de l’empreinte de la salubrité publique. Ainsi, la loi du 21 juin 1898 sur la police rurale permet-elle notamment au maire ou au préfet d’ordonner la suppression de mares insalubres.

Quant au décret du 27 septembre 1955 et à la loi du 7 mars 1963, ils complètent les dispositions existantes sur l’assèchement et le drainage des marais par l’État, les collectivités locales et les syndicats mixtes. Enfin, une loi est adoptée en 1964 pour lutter contre la démoustication : elle permet le cas échéant de mener à bien des assèchements de zones humides s’ils constituent des gîtes à moustiques.

C’est véritablement à compter de la fin de la Seconde Guerre mondiale que les zones humides subiront des modifications et détériorations brutales sans commune mesure avec celles qu’elles avaient connues dans les siècles passés. Les équilibres biologiques des zones humides sont remis en question, notamment à cause de l’accélération du drainage.

 

Page mise à jour le 01/03/2023
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